Quand on parle d’alimentation, il ne s’agit pas uniquement de diététique ou de gourmandise. Loin de n’être qu’une simple question de choix individuel, nos habitudes alimentaires sont influencées par notre milieu social, notre genre, ou encore notre âge. En décryptant ces trois axes, on comprend mieux comment l’alimentation reflète les inégalités et les identités de notre société.
Classe sociale et alimentation
Au-delà d’une question de goût, l’alimentation est aussi le reflet d’un capital économique, culturel et symbolique. En comparant les pratiques alimentaires des catégories socioprofessionnelles supérieures et celles des catégories populaires, on observe des différences marquées. Les CSP+ valorisent souvent une alimentation perçue comme saine et éthique, préférant des produits bio, locaux et variés. Ce choix culturel est facilité par des moyens financiers plus élevés et un accès à l’information. Les lieux d’achat des CSP+ sont souvent valorisants et faire ses courses peut devenir un acte militant. En ce sens, les consommateurs privilégient les circuits courts, et se dirigent vers des produits biologiques afin de soutenir les producteurs et promouvoir une alimentation durable.
À l’inverse, les CSP- doivent souvent composer avec des contraintes budgétaires fortes, favorisant des aliments à moindre coût, parfois transformés et moins variés. Pour les CSP- Pour ces dernières, l’alimentation remplit avant tout une fonction nourricière : « manger pour ne pas s’endormir le ventre vide ». Les lieux d’achats sont plutôt économiques et pratiques, faire ses courses peut devenir une véritable contrainte. En effet, ce moment exige souvent une grande ingéniosité dans la gestion des ressources, avec une chasse aux promotions et aux bons plans.

Genre et alimentation
Les attentes sociales liées au genre influencent également les choix alimentaires. Les femmes, souvent associées à la fonction « nourricière » des ménages, sont plus enclines à faire les courses et organiser les repas. Elles ont généralement une alimentation plus saine que les hommes. Les femmes subissent également une pression sociétale forte liée à l’apparence physique, ce qui influence souvent leurs comportements alimentaires. Cette responsabilité, associée à des critiques récurrentes sur leur corps et leur alimentation, les expose davantage aux troubles du comportement alimentaire (TCA).
De leur côté, les hommes sont souvent encouragés à adopter une alimentation plus calorique et « masculine », marquée par la consommation de viande. Contrairement aux femmes, ces derniers semblent moins sensibles à l’alimentation durable, locale et végétale et leur implication en cuisine reste limitée, sauf pour certaines pratiques culinaires spécifiques comme le barbecue, considéré comme une activité masculine. Paradoxalement, lorsque la cuisine devient un domaine valorisé économiquement et médiatiquement, elle est majoritairement dominée par les hommes, comme en témoigne la prépondérance des hommes parmi les grands chefs cuisiniers.
Précarité économique et alimentation : un enjeu genré
Les inégalités économiques entre les hommes et les femmes influencent directement l’accès à une alimentation équilibrée. En 2022, 15,1% des femmes vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 13,8% des hommes. À temps de travail équivalent, elles perçoivent 17 % de moins que les hommes et occupent le plus souvent des emplois à temps partiel subi (29% contre 8%). Ces écarts salariaux, couplés à leur forte présence dans des secteurs peu rémunérateurs (soins, éducation, restauration), limitent leur pouvoir d’achat alimentaire.
Cette précarité financière affecte particulièrement les mères isolées, qui dirigent 82% des familles monoparentales. Cumulant travail précaire et charge domestique, les femmes ont moins de temps et de moyens pour cuisiner des repas équilibrés, les conduisant à opter pour des aliments industriels voire ultra-transformés, souvent plus abordables mais moins nutritifs. Les femmes âgées ne sont pas épargnées : 62% des personnes de plus de 60 ans vivant sous le seuil de pauvreté sont des femmes, avec des pensions inférieures de 29% à celles des hommes. Cette précarité accroît leur risque de carences alimentaires et le risque de développer des problèmes de santé.
Bien que les femmes adoptent généralement une alimentation plus équilibrée que les hommes, elles restent plus exposées à la précarité, ce qui limite leur accès à une alimentation de qualité.
Âge et alimentation

Enfin, l’âge joue un rôle crucial dans les habitudes alimentaires. Les enfants traversent une période, dite d’homogénéisation, où les habitudes alimentaires se construisent. L’enfance est cruciale pour transmettre de bonnes pratiques qui influeront toute leur vie. Dès l’école maternelle, la cantine joue un rôle important dans l’éducation alimentaire, en confrontant les enfants aux normes sociales tout en leur permettant de faire leurs propres choix et de gagner en autonomie. La famille a également un rôle essentiel de transmission à travers les moments de repas partagés.
Pour les adolescents, en revanche, l’alimentation peut permettre de marquer une différenciation et une affirmation de soi. Ils doivent naviguer entre les influences familiales et les messages publicitaires qui prônent le plaisir alimentaire. C’est aussi une période de remise en question des habitudes alimentaires transmises par la famille, et marquée par des expérimentations. L’adolescence reste une étape critique où peuvent apparaître les premiers troubles du comportement alimentaire (TCA).
L’alimentation, loin d’être un simple acte quotidien, est une véritable vitrine des inégalités sociales et des identités. Comprendre comment les classes sociales, le genre et l’âge influencent les habitudes alimentaires est essentiel pour promouvoir une alimentation plus juste, à la fois accessible et équilibrée pour tous.
Bibliographie :
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Disparités socio-économiques et apports alimentaires et nutritionnels des enfants et adolescents
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Les jeunes et l’alimentation Des comportements sexués, évoluant avec l’âge et socialement marqués. Hélène Escalon, François Beck
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